Ensemble, nous respirons à des rythmes différents. Mais à force d'éternité, par ma peau écaillée, mes bras étirés, ma toison emmêlée, ma sève profonde, je parviens à ajuster ma vision et percevoir leurs silhouettes. Silhouettes rares et fugitives qui viennet troubler mon décor. Silhouettes vivantes d'un monde sans racines, d'un ciel d'étoiles filantes, d'une mer de bateaux ivres.
Ils avaient été plantés, arrosés et sarclés dans un jardin botanique, jusqu'à ce qu'ils retrouvent la force de leur espèce, que leurs racines s'emparent de leur nouveau sol, et qu'ils aceptent enfin de faire souche dans ce nouveau pays. On les avaient affublés du nom de « Bois noir de Haïti » et on leur avait attribué un rôle : celui d'ombrer les arbres de café. Les hommes les avaient domestiqués comme on modèle une terre d'argile. Ils les avaient soumis à leur volonté. C'était dans l'ordre de leur tempérament... Ces petits êtres hors sol sont de terribles prédateurs : ils vous tuent ou ils vous exploitent. Sans le moindre état d'âme.
Le temps d'une lecture, je me suis enracinée, je suis devenu cet arbre, ce zamana qui sait tout de la vie d'une île, de ses arbres et des hommes qui la peuple.
Il raconte la beauté d'une île, La Martinique, de sa nature.
Planté là par les hommes, il s'étale et apporte son ombre, ses fruits et son bois. Il est bavard et nous fait partager ses discussions avec le tamarinier.
Immobile, il observe et témoigne de la vie de la plantation, de ses habitants et de la frénésie des hommes qui passent à toute vitesse. Il les voit bâtir, planter, s'aimer, se haïr, partir, revenir car bien que sans racines certains d'entre eux sont attachés à cette terre.
Il raconte les colères de l'île auxquelles il ne peut échapper orages, tempêtes, éruption volcanique mais aussi la violence des hommes, les destructions qu'ils causent.
C'est un très beau texte poétique d'Emmanuel de Reynal, empreint de sensibilité. L'emploi du créole par petites touche y ajoute une agréable sonorité.
Une excellente lecture, la découverte d'un arbre exceptionnel avec une postface surprenante.
À lire absolument.
Merci aux éditions L'Hamattan et à Babelio pour cette masse critique.
Un long temps s'écoula dans ce triste désert. Un temps silencieux de nécropole. Le volcan avait cessé de cracher ses entrailles. Comme fatigué, il s'était endormi sur un lit de morts. Mais le monde devait renaître sans tarder. Il devait relancer très vite ses bourgeons, quitter les ténèbres et repartir enfin. Alors, les pluies mêlèrent les cendres carbonées à la terre. Les vents chassèrent les poussières. Petit à petit, la nature revint plus belle plus forte. Les fleurs chatoyèrent leur robe afin d'exciter les abeilles. Les arbres exhalèrent des parfums troublants pour affrioler les parages.
Les hommes avancent autant par coups de main que par coups de fouet, par amour et par haine en même temps. Ils marchent en équilibre sur la crète des forces contraires. Et ils ont cette curieuse manie de concevoir leurs grandes aventures sur des envies dérisoires. Ainsi, ce sont les parfums d'une tasse de café, puis le goût suave d'un gâteau qui ont déraciné des peuples entiers, bouleversé leur monde et donné naissance à ce lieu ! Ce haut-lieu du sucre dont j'étais devenu l'arbre de veille.